La planète suivante était habitée par un buveur. Cette visite fut très courte, mais elle plongea le petit prince dans une grande mélancolie.
C'est au hasard de mes déambulations sur la Toile que j'ai découvert cette page, visuellement bien rebutante, sur l'alcoolisme dans la littérature.
Je soutiendrais volontiers la thèse qu'il est encore plus difficile, pour un romancier, de camper un personnage d'alcoolique que de sortir grandi d'une scène d'amour. Encore qu'il convienne de tenir compte d'une donnée – même si c'est pour la balayer d'un rapide non-lieu : ceux qui, majoritairement, décideront de la qualité intrinsèque de son travail romanesque jaugeront la figure du buveur, telle que dépeinte par l'auteur, à des critères étrangers à la psychologie même de celui qui, souffrant d'une addiction à l'alcool, aura servi de modèle – l'auteur eût-il, par conscience professionnelle, fait exploser son taux de transaminases et de gamma-GT avant de tremper sa plume dans son propre sang. Milton Loftis, le père alcoolique d'Un Lit de ténèbres de William Styron [1] me semble plus réussi et efficace que le consul dipsomane de Lowry [2], constamment invoqué. Mais, justement, mon point de vue est doublement [dé]formé par mon expérience d'alcoolique et ma pratique d'abstinent.
Je me suis précipité sur mon exemplaire du Petit Prince, que cinq ou six déménagements avaient à peine tiré de son sommeil depuis ma dernière visite.
– Que fais-tu là ? dit-il au buveur, qu’il trouva installé en silence devant une collection de bouteilles vides et une collection de bouteilles pleines.
– Je bois, répondit le buveur, d’un air lugubre.
– Pourquoi bois-tu ? lui demanda le petit prince.
– Pour oublier, répondit le buveur.
– Pour oublier quoi ? s’enquit le petit prince qui déjà le plaignait.
– Pour oublier que j’ai honte, avoua le buveur en baissant la tête.
– Honte de quoi ? s’informa le petit prince qui désirait le secourir.
– Honte de boire ! acheva le buveur qui s’enferma définitivement dans le silence.
Et le petit prince s’en fut, perplexe.
Les grandes personnes sont décidément très très bizarres, se disait-il en lui-même durant le voyage.
Le Petit Prince m'a toujours paru une exception dans l'œuvre de Saint-Exupéry – qui, de façon diffuse, suscite en moi une sorte de léthargie de l'esprit dont je reconnais qu'elle procède pour une large part de la mauvaise foi : de mon dépit, plutôt, devant quelques-unes des citations à l'emporte-pièce qu'on en a extraites comme sujets de rédaction [de mon temps] dans les collèges. En revanche, sous ses allures feintes de livre pour la jeunesse, Le Petit Prince pourrait fort bien être un texte crypté, acheminant à l'intention de quelque société d'initiés un message sans commune mesure avec l'apparente limpidité de son contenu.
Je me garde bien de trancher, on s'en doute. J'affirme juste qu'il n'existe pas, à ma connaissance, une formulation de la psychologie de l'alcoolique plus économe dans sa redoutable rigueur, pour ainsi dire chirurgicale, que les quelques répliques du chapitre XII du Petit Prince.
[1] Traduit de l'anglais par Michel Arnaud, Gallimard, 1953 ; diponible en collection de poche « L'Imaginaire ».
[2] Malcolm Lowry, Sous le volcan, traduction de Jacques Darras, Grasset, 1987. Sur les raison qui me font préconiser cette traduction, voir une chronique antérieure, Deux volcans, deux lolitas ?….
Antoine de Saint-Exupéry, Le Petit Prince, avec des aquarelles de l'auteur, Gallimard, 1946, pp. 43-45.
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