J'avais bien remarqué cette tournante sur plusieurs de mes sites connivents. Je ne rechigne pas devant certaines vertus de ce genre d'enquête, si ce n'est que le temps – toujours lui –, ces temps-ci, me fait plus que jamais défaut. Mais voilà que Juan Asensio me compte parmi ses quatre relais à qui passer le témoin.
Répondant à l'invitation de Raymond Queneau, en 1956, Roger Caillois conclut ainsi sa brève note d'accompagnement aux cent livres dont il doterait sa propre bibliothèque idéale : Je comprends que je me suis acquitté d'une tâche vaine, regardant cette liste où presque tout demeure arbitraire ou accidentel et qui n'est même pas significative, sinon justement par la nature des scrupules que j'ai mis à l'établir.
Outre que le wara' est une bien précieuse vertu à divulguer, je tiens pour moins insignifiantes qu'il ne l'affirme tant sa sélection comme celle de ses commensaux dans ce livre, nécessairement daté, que les réponses données sur leur site par plusieurs de celles et de ceux qui tentent de faire souffler sur la Toile un vent d'altitude.
C'est pourquoi je me livre de bonne grâce à l'exercice – non sans observer d'emblée que l'île taciturne ne serait plus tout à fait déserte, dans la mesure où ses coffres de survie compteraient déjà deux exemplaires de La mort de Virgile (quelle que soit mon estime, que Juan n'escompte pas que je partage mon édition !).
Les quatre livres de mon enfance (avant 15 ans)
Le Roi Babar, de Jean de Brunhoff
Tistou les pouces verts, de Maurice Druon
Lancelot, feuilleton illustré dans Le Journal de Mickey, ca. 1955 [1]
Le catalogue Les Trois Suisses [2]
Entre enfance et adolescence (après 15 ans)
Cette rubrique, qui me semble pertinente, figure dans la version du questionnaire qu'utilise Philippe[s].
[Sans objet. Passe le baccalauréat de lettres classiques en 1969 (mention très bien) sans avoir jamais lu exhaustivement un seul morceau choisi des différents volumes du Largarde et Michard.]
(Les) quatre écrivains que je relirai
Roger Caillois
William Styron
Marguerite Duras
Paul Claudel
[J'ai failli écrire : Marcel Proust ; mais, dans l'instant, m'est revenue – comme on est victime d'un renvoi après un repas lourd – l'image de cet imbécile, incessant importun de la terrasse de café où j'avais ma chaise, à l'époque, sur la place de la basilique, qui a fait son entrée vespérale, un soir d'été où chacun guettait le premier souffle d'air, en prévenant que, depuis l'aube, il avait pris la décision de "relire" La Recherche.]
Les quatre auteurs que j'ai aimé lire et que je ne lirai plus jamais
[Bien étrange question. Comment dire : Fontaine, je ne boirai plus de ton eau… ? Qui peut jurer de sa soif ? En revanche, jamais de la vie tu ne me feras boire de ton eau croupie ou insipide m'est devenu, à mesure que la mort se rapproche, objurgation familière.]
Les quatre premiers livres de ma pile à lire
Le monde est intérieur, de Pierre Emmanuel
Résistance et Soumission de Dietrich Bonhoeffer [3]
Le Livre des Secrets de Farîd-ud-Dîn ’Attar
Julien l'Apostat – La mort des dieux – de Dmitri Merejkowski
[Sur ma table de mauvaise conscience, derrière mon poste de travail, une vingtaine de volumes, récemment acquis pour la plupart, que rejoignent des livres extraits de la bibliothèque dans lesquels je me suis fixé, de toute urgence, d'aller rechercher un passage lu jadis, voire de relire un chapitre entier ; voire encore convoqués comme pense-bête pour chercher un titre du même auteur ou une lecture connivente sur les sites-portails de librairies de seconde main. Sur ma table de chevet, je viens de compter seize volumes. Le monde est intérieur de Pierre Emmanuel a été reçu ce matin d'un libraire parisien, j'en engage la lecture aussitôt parvenu à la dernière page de La Face humaine.]
Les quatre livres que j'emporterais sur une île déserte
Patagonie, de Roger Caillois
La mort de Virgile, d'Hermann Broch
Écrits apocryphes chrétiens (deux tomes)
Amers, de Saint-John Perse[Je n'emporte pas que des textes, je m'assure de la compagnie de livres, objets beaux et délicats, qui justifieront quelques soins domestiques. Sur ce choix – qui n'obtempérerait guère aux aléas de l'humeur ou de la durée –, quelques remarques : Caillois, pour incorporer à ma désertion les plus belles mesures d'une langue qui a modelé la mienne (comme Bach a formé mon oreille) ; Broch, pour la forme extraordinairement élaborée, maîtrisée, de ce récit – une sorte de rappel à l'ordre dans l'écriture de Nocturne, à quoi je pourrais enfin consacrer le solde du temps qui m'est décompté ; les apocryphes parce que je reste indécrottablement le lecteur de l'infrapaginal, des notules, des notices, des notes aux notes, le lecteur pour qui la marge éclaire le texte – et que l'apparat critique de ces deux volumes, qui sont une folie d'érudition exégétique, comportent citation de l'essentiel de l'Ancien et du Nouveau Testament et que reconstituer la Bible par ce biais est un exercice qui convient à ma tournure d'esprit ; Perse, assurément, parce que n'ayant aucun motif de faire fouetter l'océan, je me propose de lui faire lecture de son âme, à l'aube et au couchant – première et ultime tâche de mes journées, gammes profanes d'une pratique de la prière à laquelle seul un tel lieu me permettra d'enfin irraisonnablement aspirer.]
Question complémentaire, que j'ajoute au jeu :
Les quatre livres que j'apprendrais par cœur avant de m'embarquer pour ladite île
Le Cantique des cantiques
Une cinquantaine d'Odes mystiques de Rûmî
Une dizaine de Petits Traités de Pascal Quignard
Les Fragments d'Héraclite l'Obscur
Les derniers mots d'un de mes livres préférés
« Descendant le long de la côte jusqu'à l'une des extrémités des terres, je retrouve au large les présents immortels que personne ne mérita et devant qui les civilisations mêmes ne semblent durer qu'un jour : la mer, le vent froid du pôle et cette fixe constellation écartelée en sautoir sur le plus vaste ciel. […] Contrée toute d'espace et d'appel qui compose sur le sol un site comme il faudrait avoir l'âme… » (Roger Caillois, Patagonie).
Quatre lecteurs dont j'aimerais connaître les quatre livres qui…, les quatre livres que…
[Et si je leur en laissais l'initiative ? Qu'ils se signalent, simplement, ou proposent ici leur choix s'ils n'ont pas leur lieu propre dans la blogosphère. Je dois nombre de mes lectures, parfois les plus durablement fécondes, à des interlocuteurs dont je n'attendais pas toujours qu'ils m'indiquent ainsi leur source – je pense à la source réelle, celle dont Pagnol jure un peu hâtivement que ça ne se dit pas.]
[1] L'occasion rêvée de lancer ici un appel aux lecteurs, connus ou non, qui disposeraient d'un ou de plusieurs numéros de cette revue contenant ce feuilleton illustré. En toute probabilité, celui a paru – et pendant une période assez longue – dans la seconde moitié des années 1950. J'ai renoncé à questionner les bouquinistes spécialisés dans les bandes dessinées : bénéficiant d'une clientèle à peu près aussi addictive que les philatélistes et les amateurs de trains en modèle réduit [ceci n'est une pierre dans le jardin de personne, l'intéressé se reconnaîtra dans ma précaution oratoire], ils commencent par gérer leur fonds de commerce, à savoir l'état de manque du client : Oui, je crois voir ce à quoi vous faites allusion, il faudrait que je regarde dans mes réserves, on me demande ça très rarement, et ça n'est pas courant, repassez dimanche prochain… Identifier précisément ce que je cherche serait un grand pas. Ces images, cette histoire ont nourri mon imaginaire autour de l'âge de raison. Mesurer aujourd'hui l'écart entre la réalité des pages et la mémoire vive que j'en garde serait l'une de ces expériences qui sont à la fois source d'émotion et d'enseignement.
[2] Rubrique « Lingerie féminine ».
[3] Un de nos collaborateurs m'a offert ce livre, voilà plusieurs mois, afin d'en partager la lecture, qui semble compter pour importante dans son itinéraire personnel. Je replace avec assiduité le lourd volume sur le haut de la pile. Je me suis fixé de ne pas aborder l'été sans m'y consacrer. Ces six cents pages de correspondance n'inspirent aucun négligé dans le choix de l'heure et du lieu pour les aborder.
En ouverture : Photomontage D.A., à partir du fond d'écran disponible sur le site de Passe-Voyages.
© www.nouvellesantilles.com.
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Dominique Autié
Dominique Autié
Quand le labeur
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et les lectures
de vos nuits
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qui est l’écran
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Dominique Autié
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