Je rapproche deux faits, inégalement médiatisés ces derniers jours : d'une part, la déclaration du président de la République affirmant qu'il n'a jamais bu une goutte d'alcool de sa vie [1] et, d'autre part, l'étude actuellement conduite par l'État en vue de réduire le taux d'alcoolémie autorisé au volant de 0,5 g/l. Le ministère concerné démentirait cette rumeur, mais on imagine ce qu'il en est des rumeurs qui font l'ouverture d'un bulletin d'information sur une chaîne de télévision…
Pour ce qui de cette mesure à venir, un rapide inventaire des pratiques au sein de l'Union européenne apprend que six États membres, tous situés à l'Est de l'Europe, ont opté pour un taux zéro : dès lors, une sauce trop vinaigrée, une salade de fruits arrosée de Grand Marnier, mais aussi – on l'ignore d'ordinaire – une friction trop généreuse d'après-rasage ou d'eau de toilette alcoolisée suffisent à rendre le test positif.
J'ai, comme chacun, visionné la prestation de Nicolas Sarkozy devant les journalistes qui couvraient le G8. J'ai lu sur le site du Monde le témoignage de Richard Werly, journaliste présent à la conférence de presse [3], dont la pondération fait, une fois n'est pas coutume, honneur à sa profession. Je me garderai de tout affirmation – et, plus encore, de tout jugement à l'emporte-pièce.
Les législateurs estonien, hongrois, lettonien, polonais, tchèque et slovaque ont eu le mérite (et, sans nul doute, le courage) de placer leurs concitoyens devant une évidence : il n'existe pas de demi-mesure dans la prise en compte de la consommation de l'alcool et de ses effets ; pas plus dans la sphère intime, qui confronte le buveur occasionnel ou addictif à sa pratique, que dans celle des sociétés. C'est d'ailleurs ce qui rend si antipathique le dossier de l'alcoolisme et de sa prévention : impossible de se montrer convivial, œcuménique, bien-pensant sans passer pour un pitre et un salaud aux yeux de ceux qui savent de quoi il en retourne. À 0,2 g/l, un verre de vin, un demi pression passeront encore, pas un whisky strictement dosé. Ce qui signifie qu'il conviendra de renoncer à effectuer des contrôles routiers à certaines heures et en certains endroits du territoire, sauf à verbaliser plus d'un conducteur sur deux. Si de tels contrôles étaient pourtant mis en place, la seule stratégie raisonnable et efficace consistera, pour tout citoyen sachant qu'il prendra le volant dans la journée ou dans la nuit, à renoncer purement et simplement à toute consommation d'alcool. À moins que le test ne soit pratiqué systématiquement qu'en cas d'accident, ou à titre répressif dans le cadre de contrôles ciblés, et j'y vois alors une mesure non seulement inutile au regard des effets attendus (la baisse des accidents dû à une consommation excessive d'alcool), mais également injuste : si j'ai une bonne bouille et une maîtrise confirmée de la conduite, je pourrai, moyennant une prise de risque très réduite (je parle, bien entendu, de la peur du gendarme, non du risque d'accident), m'en tenir à une vigilance très approximative sur mon taux d'alcoolémie lors d'un dîner entre amis ou d'un vernissage mondain.
L'étape entre la législation actuelle et l'interdiction totale d'une alcoolémie positive au volant me semble vaine, et moralement pitoyable parce que dictée par la peur de déplaire.
Quant aux termes dans lesquels Nicolas Sarkozy s'est défendu des soupçons suscités par sa prestation devant la presse le 7 juin dernier, il suffit de rappeler clairement ceci : soit il compte parmi les 4 % de sujets atteints d'un dysfonctionnement de l'enzyme hépatique impliquée dans le métabolisme de l'alcool et développe, depuis la naissance, une intolérance sévère à toute boisson alcoolisée ; soit il a, de façon libre ou contrainte, pour une raison qui ne saurait me regarder (ni en tant qu'individu, ni en tant que citoyen), adopté une conduite d'abstinence à laquelle il n'aurait donc jamais dérogé. Dans cette seconde hypothèse, il convient d'avoir en mémoire que l'abstinence alcoolique pratiquée par les anciens buveurs excessifs ne souffre aucun aménagement, par le court compromis : nous agrémentons l'huile de nos salades d'une rasade de jus de citron. Afin que nulle ambiguité n'ait place dans l'esprit de personne, mieux vaut s'assurer, en toute rigueur, que c'est bien à cette abstinence-là qu'on se réfère, que c'est elle qu'on invoque.
Sur la prestation de notre président, qui a tant occupé le désœuvrement public ces dernières semaines, encore ceci : vous ne verrez jamais un alcoolique abstinent jeter sa bouteille vide à la figure de son prochain, même s'il semble tituber. Notre propre négociation avec la mort nous a rendus, pour la plupart, trop modestes – et fiers – pour prendre le risque de nous tromper.
[1] Source (entre autres) : site Internet du Nouvel Observateur, mise en ligne du 22 juin 2007 à 11 h 47 : « Le présentateur peut-être ivre lui-même ».
[2] Sur la chaîne LCI, ce mardi 26 juin à 8 h 30 (la rumeur d'État m'étant imposée avec mon double express, au zinc du petit café montalbanais où j'ai mes habitudes lorsque je me rends au département Archives et médiathèque de l'université ; nous auditionnions, mardi, les candidats de la prochaine promotion de master professionnel d'édition).
[3] Mise en ligne du 13 juin 2007 à 8 h 52, en collaboration avec le quotidien suisse Le Temps, « Heiligendamm, jeudi 7 juin, 17h30… »
T'es bourré ou quoi ? – Image circulant sur la Toile, dont l'origine n'est nulle part précisée (du moins mes recherches sont-elles restées vaines).
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Dominique Autié
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