L'oiseau, de tous nos consanguins le plus ardent à vivre, mène aux confins du jour un singulier destin. Migrateur, et hanté d'inflation solaire, il voyage de nuit, les jours étant trop courts pour son activité. Par temps de lune grise couleur du gui des Gaules, il peuple de son spectre la prophétie des nuits. Et son cri dans la nuit est cri de l'aube elle-même : cri de guerre sainte à l'arme blanche. [1]
J'ai choisi Perse – comme disent les initiés, façon de se donner comme familier de cet Obscur –, mais j'aurais pu invoquer n'importe quelle séquence de Pierres de Roger Caillois, la description d'un insecte par Jean Henri Fabre, un passage pris au hasard dans une Upanishad : proses qui ne disent pas leur nom ou poèmes qui s'ignorent – sciemment, dans le cas de Roger Caillois ? Longtemps, la poésie m'a caché la prose comme l'arbre la forêt. La chronique de ce fourvoiement serait dénuée du moindre intérêt si l'aune de ce que je croyais être la poésie n'avait durablement imposé chez moi une contraignante mesure de la langue (j'entends : une pesée perpétuelle du métal rare, corruptible, menacé de négligence que constituent le lexique et la syntaxe nécessaires à penser le monde avant même de songer à le décrire.
J'incline, aujourd'hui, à entendre tout poème qui se revendique tel comme la comptine qu'ânonnerait un enfant attardé. La réticence dont a fait preuve Roger Caillois devant le mot même de poésie a adopté chez moi, je le crains, une forme plus endémique. De sorte que, s'il ne tenait qu'à moi, je classerais une fois pour toutes les textes de Saint-John Perse parmi les spécimens de la plus pure prose, recommandant qu'on réserve le label problématique à l'œuvre de Paul Géraldy.
Je sens le visiteur perplexe : débattre de ce qui mérite ou non la certification poétique est à peu près aussi vain que de soupeser ce qui relèverait de l'érotisme bien-pensant d'une part, et de la pornographie de l'autre. D'ailleurs, j'ai moi-même senti poindre l'ennui en rédigeant ce qui précède. Reste toutefois une question, sur laquelle je ne n'escompte pas que les générations présentes de khâgneux s'interrogent. Il convient donc de le faire à leur place – à celle surtout de leurs enseignants, qui ont réussi à ramener au sol, c'est-à-dire à leur portée, l'œuvre de Gérard Genette pour en faire le Lagarde et Michard de l'ère du téléphone portable. Cette question, la voici, équarrie à la hache : cet état et cette instance de la langue qu'on a pu nommer poésie, qui (comment ? dans quel dessein ? avec quels outils spirituels ? en quel lieu ?) peut irraisonnablement en maintenir vivant l'enjeu ? Avec quelle probabilité de se frayer un cheminement, même obscur et secret, parmi le maillage compact du T'es-où-Tchao-bisou qui tétanise l'espace public autant que l'intimité de la langue ?
[1] Saint-John Perse, Oiseaux, Gallimard, 1961.
Les commentaires sont fermés pour cet article.
Dominique Autié
Dominique Autié
Quand le labeur
de vos journées
et les lectures
de vos nuits
vous tendent un seul
et même miroir
qui est l’écran
de votre ordinateur,
il y a urgence
à créer votre blog :
grâce au premier internaute
qui vous rend visite,
le cercle
cesse d’être vicieux.
Dominique Autié
Dominique Autié
Dominique Autié
Lun | Mar | Mer | Jeu | Ven | Sam | Dim |
---|---|---|---|---|---|---|
<< < | > >> | |||||
1 | 2 | 3 | ||||
4 | 5 | 6 | 7 | 8 | 9 | 10 |
11 | 12 | 13 | 14 | 15 | 16 | 17 |
18 | 19 | 20 | 21 | 22 | 23 | 24 |
25 | 26 | 27 | 28 |