Dans le dossier qui contient les bribes d'un projet de roman, abandonné depuis, dont j'ai donné à lire ici le seul premier chapitre rédigé, je relis ce morceau de bravoure. Je prends le parti de l'offrir sans trop rougir aux lecteurs assidus du blog, qui n'ont pas démérité.
Je trouve, ce matin, sur le plateau du petit déjeuner, une coupelle en opale dans laquelle Cyclamen a placé quelques abricots. Ce sont les premiers, je n’ose dire de la saison tant nous fait défaut cette amplitude qui qualifie les climats, tant pèse ici une météorologie dépourvue de toute humeur. Plus que le mouvement apparent du soleil, le retour d’un fruit dans les corbeilles ou d’un plat de légumes dont nous avions oublié la saveur suffit à scander la fuite des jours.
Au contraire de certains assortiments que les filles des cuisines agencent en laissant cours à leurs velléités de symétrie, à leur fantaisie ornementale, le récipient dans lequel ils ont été recueillis sans ordonnance les offre à ma vue dans toute leur impudeur. Ils forment un amas étroit que la main pourrait rafler d’un geste. Trois fruits sont juchés, calés entre les renflements et les interstices de ceux déposés dans le fond de la coupelle. Ils bombent leurs opulences duveteuses, leurs péricarpes d’organes clos sur le secret de leurs sucs. Comme la trace d’une fontanelle à peine refermée, l’esquisse de la fente affiche leur indéhiscence — le soleil seul ne saurait achever d’épanouir les drupes charnues et timides, dont il faut disjoindre les lèvres, aux abords desquelles les doigts, les dents et la langue doivent conjuguer leur désir.
J’ai souvent regretté qu’il ne soit pas possible de composer sur le mot abricot, ainsi que Bach l’a fait sur les notes correspondant aux lettres de son nom. J’éprouverais pourtant le plaisir le plus rare à improviser une fugue dont je saurais que la ligne mélodique entretient avec le fruit convoité une identité de structure, celle-ci passât-elle par l’apparente abstraction de la langue. Car, plus encore, s’il se peut, que la vue du fruit, en prononcer le nom rappelle aussitôt l’émoi contemplatif de l’entrevue avec quelque porte entrebâillée. Il m’arrive de le répéter plusieurs fois à lèvres muettes en croisant telle ou telle qui n’a émergé de l’enfance que depuis quelques mois, dont la rougeur aux joues dit assez que le fruit pubescent a pris cette teinte du ciel au couchant, qu’il se pigmente, se gorge, mime qu’il est prêt à s’entrouvrir à l’approche des dents.
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Dominique Autié
Dominique Autié
Quand le labeur
de vos journées
et les lectures
de vos nuits
vous tendent un seul
et même miroir
qui est l’écran
de votre ordinateur,
il y a urgence
à créer votre blog :
grâce au premier internaute
qui vous rend visite,
le cercle
cesse d’être vicieux.
Dominique Autié
Dominique Autié
Dominique Autié
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