Rendant hommage il y a peu, ici même, à la femme à chat, j'ai passé sous silence, et j'ai eu tort, l'une de ses vertus cardinales : celle de n'être pas allergique – aux poils de chat, cela va de soi, mais au-delà de ne pas compter le mode allergique au nombre de ses registres, de ses moyens d'action et d'exercice du pouvoir. Pour la simple raison qu'elle aura, au moins une fois, été confrontée au visiteur (plus plausiblement à la visiteuse – à l'hôtesse, la commensale, la colocataire) à qui la seule vue de son chat aura donné le signal de l'antienne allergène [j'entends bien signifier par l'emploi de ce qualificatif que le discours, pré-écrit, de l'allergique, en l'absence de tout symptôme péremptoire d'œdème de Quincke, est à ranger dans l'ordre des causes efficientes des symptômes allergiques, quand ils adviennent, pour ne pas dire qu'il en est, dans une majorité de cas, le facteur déclenchant].
Qui s'est trouvé le témoin (c'est-à-dire, toujours peu ou prou l'enjeu instrumentalisé) de cette forme particulièrement redoutable de prise de pouvoir ne l'oublie pas. Cette expérience peut même vous convaincre – c'est mon cas – de récuser depuis des lustres tout recours à cette science hautement inexacte qu'est l'allergologie alors qu'en toute objectivité vous êtes victime, deux fois par jour quand ce n'est pas en pleine nuit, jours fériés compris, de crises d'éternuements en salves à desceller la plomberie ; si un étranger prédit, plus qu'il n'interroge, que vous êtes allergique, aux pollens sans doute, vous avez appris à briser là d'un non sans appel. Vous avalez chaque soir votre dose d'antihistaminiques depuis trente ans et vous exigez qu'en retour on s'abstienne de vous prêter le moindre profil allergoïde.
Je n'ai trouvé dans la littérature (selon l'expression consacrée) qu'une seule allusion à une tentative de nosologie de la personnalité allergique. Pourtant, comme la veuve anthume, la présidente d'association caritative et la propriétaire de caniche, l'allergique exerce un pouvoir immédiat (non médiatisable), tyrannique et bavard sur son environnement humain comme non humain selon une partition strictement codifiée. Comme l'alcoolique et l'érotomane, l'allergique ignore l'improvisation. Comme la personnalité narcissique, l'allergie dessine un style de présence au monde.
Il y a de nombreuses années déjà, j'ai eu la chance d'assister sur la durée à un numéro de duettistes parfaitement rodé, interprété par une mère et sa fille toutes deux allergiques au lait de vache. Je leur dois d'avoir pu observer par quelle subtile stratégie le spectre de la crise [pas l'œdème : la crise] implique, compromet toute personne qui entre dans la maison, susceptible de cacher un quartier de Vache qui rit dans ses semelles à double fond, tout convive qui se montrera peut-être incrédule quand on lui commentera le plateau de fromages, tout interlocuteur à qui l'on veut du bien et qui ignore que le bébé humain une fois sevré n'a plus besoin de consommer de lait – d'autant que le lait (de vache) est un poison, comme l'attestent, s'il en était besoin, les ravages que la seule vue d'un yaourt provoque sur nous, n'est-ce pas ma chérie ?
Par équité, je fais mention de mon ami Bernard, dont la délicatesse consiste à développer deux syndromes distincts : d'une part, une impressionnante phobie des insectes volants et rampants et, d'autre part, une allergie à l'oignon. L'un des débats de prédilection qui occupent les trop rares soirées que je partage avec cet être très cher porte sur la pertinence du concept d'hystérie masculine. Il se trouve que, de fort longue date, nos avis concordent. C'est donc aux conditions de validité de l'anamnèse, de la diagnose et de la cladistique que nous pouvons consacrer le meilleur de nos disputes.
Voilà des années, pour ma part, que je préconise le port du collier élisabéthain – dispositif également nommé carcan ou collerette, conçu pour empêcher l'animal domestique (ordinairement le chien) de lécher une plaie ou une région eczémateuse –, qui présenterait le double avantage de signaler de loin la présence de l'allergique et de lui servir de porte-voix. Pour l'homme comme pour le chat dont la robe est désignée à la vindicte, il peut être précieux d'être averti qu'on pénètre en zone allergène – un lieu où se tient le discours à la fois fondateur et substitutif de la crise allergique. Libre à vous, dès lors, de consentir ou non à jouer le jeu.
(En frontispice) Collier élisabéthain posé à titre expérimental sur un chat allergique à son environnement humain. D.R.
Les commentaires sont fermés pour cet article.
Dominique Autié
Dominique Autié
Quand le labeur
de vos journées
et les lectures
de vos nuits
vous tendent un seul
et même miroir
qui est l’écran
de votre ordinateur,
il y a urgence
à créer votre blog :
grâce au premier internaute
qui vous rend visite,
le cercle
cesse d’être vicieux.
Dominique Autié
Dominique Autié
Dominique Autié
Lun | Mar | Mer | Jeu | Ven | Sam | Dim |
---|---|---|---|---|---|---|
<< < | > >> | |||||
1 | ||||||
2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7 | 8 |
9 | 10 | 11 | 12 | 13 | 14 | 15 |
16 | 17 | 18 | 19 | 20 | 21 | 22 |
23 | 24 | 25 | 26 | 27 | 28 | 29 |
30 | 31 |