«
Nous avons une attache aux plaisirs qui est inguérissable.
Nous sommes livrés au violent amour que notre corps soit heureux.
Nous sommes esclaves des agréments et du bonheur plus que nous sommes esclaves de la souffrance que nous oublions sur-le-champ.
Nous sommes esclaves des agréments et du bonheur plus que nous sommes esclaves de la mort, où nous ne sommes que contraints.
C’est ainsi que nous pouvons dire : la gourmandise est plus sombre que la mort.
Qu'en est-il de la gourmandise de la langue à l'approche du livre ?
Le recueil s'ouvre sur les premiers textes que publia Pascal Quignard dans la revue L'Éphémère à partir de 1968. Il a vingt ans. On le vérifie d'emblée : ces pages signalent la germination de l'œuvre à venir.
On y trouvera plusieurs textes restés inédits, tel Le significe, qui devait prendre place dans le numéro XX de L'Éphémère, qui ne paraîtra pas, Aimé Maeght (qui la publiait sous l'égide de sa fondation) et les écrivains qui la dirigeaient (André du Bouchet, Jacques Dupin…) ayant décidé de mettre fin à la publication de ces cahiers. Le volume porte également traces et témoignage de la collaboration de Pascal Quignard avec Emmanuel Hocquard, qui anima les éditions Orange Export Ltd, avec Jean-Pascal Léger des éditions Clivages. Y figure encore le texte, majeur à mes yeux, que publia en 1989 la revue Le Débat sous forme d'un entretien entre Marcel Gauchet, Pierre Nora – les directeurs de la revue, publiée à l'enseigne des éditions Gallimard – et Pascal Quignard, sous le titre La déprogrammation de la littérature. Avec, pour le lecteur familier, cette surprise d'un bref échange gommé dans le texte reproduit ici : – Quel est le romancier dont vous vous sentez le plus proche de nos jours ? lui demandaient ses interlocuteurs ; – Iris Murdoch, répondait Quignard, en 1989, sans autre commentaire [1]. Pour m'être lancé à l'époque, sur la seule foi de cette réplique, dans la lecture de plusieurs romans de l'auteur de Amour profane, amour sacré, je reste toujours aussi perplexe tant sur l'aveu d'il y a quinze ans que sur sa suppression aujourd'hui.
On sera attentif, chez le libraire, à ce que figure dans l'exemplaire le feuillet libre de quatre pages intitulé Prière d'insérer. Pascal Quignard y retrace, en quelques lignes, un itinéraire qui lui fit croiser, à partir du printemps de 1968, quelques destins :
Nos dieux se mirent brusquement à mourir.
Celan se suicida : ce fut Sarah qui me l'apprit, postée dans l'encadrement de la porte de l'appartement d'André du Bouchet.
Rothko se suicida : ce fut Raquel qui me l'apprit dans l'atelier de Malakoff. Je me souviens qu'elle se tenait assise devant la presse d'Orange Export Ltd. Elle ne dissimulait pas ses larmes. Elle caressait la tête de son chien effrayant.
Je déjeunais ou je dînais avec Alain Veinstein, avec Anne-Marie Albiach, avec Emmanuel Hocquard, avec Claude Royet-Journoud.
Je n'avalais pas grand-chose et je n'écoutais pas grand-chose.
Je tentais d'atteindre la moitié de l'assiette, la fin de l'heure, l'espoir d'être élargi, s'enfuir.
[…]
– Avez-vous connu les gens que vous avez connus ?
– Pas du tout.
De quoi témoigne le témoin ?
De rien qu'il sache.
C'est le livre.
Ce beau volume, large-lourd et dans ma main étrangement aérien, semble venir ponctuer ce temps compté qui veut que je n'aie pas lu encore, faute du recueillement qu'exige une telle lecture, quatre des cinq tomes parus de Dernier royaume. Passant devant le rayonnage où s'alignent leurs tranches blanches – à peine laiteuse sous le cristal intouché –, l'idée (stupide au regard de la vie réelle, juste sans doute dans le registre qu'établit l'œuvre) qu'ils attendent que je les lise à l'agonie. La dernière lecture. [Le dernier tango de l'âme avec la langue ?]
[1] Le Débat, numéro 54, mars-avril 1989, Gallimard, p. 86.
• À propos de Pascal Quignard, Écrits de l'éphémère,
dessins originaux de Valerio Adami, éditions Gallilée, 2005, 304 p., 45 €.
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Dominique Autié
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