Il ne faut pas suggérer devant un natif (on disait, jadis, un naturel) de Toulouse que sa ville souffre d'un des pires climats de l'hexagone. Le vent d'autan, qui m'a fait rebrousser chemin en ce matin d'Épiphanie, en fournit pourtant une preuve irréfutable, parmi bien d'autres (après avoir traversé la rue pour acheter ma première galette des Rois à la frangipane [1], je prétendais faire le tour de Saint-Sernin et présenter mes vœux à quelques bouquinistes ; plusieurs fois bousculé, sur ces quelques mètres, par des passants que le vent hystérise, je me suis engouffré ici, pouvant enfin mettre un nom sur la pénible sensation d'impuissance et d'angoisse que j'éprouvais depuis l'aube).
Vous n'échappez pas à l'autan : même calfeutré à demeure, vous le sentez vous balayer l'intérieur de la boîte crânienne. Dans l'un de mes précédents domiciles toulousains, plusieurs mètres séparaient ma table de travail de la fenêtre ; un jour que celle-ci était entrebâillée à l'espagnolette, j'ai vu fuir soudain, halluciné, la feuille de papier posée devant moi ; à peine avais-je senti courir la langue de vent – telles, je l'imagine, les langues de feu de la Pentecôte, mais avec l'autan c'est le Mal, la folie, non l'esprit de Dieu, qui vous visitent.
Je ne force pas le trait en évoquant la folie : j'ai bien connu le Pr Louis Gayral, psychiatre toulousain pétri d'une culture de l'ancien temps, un diagonal, un ami de l'Homme. Il avait consacré un imposant travail clinique aux effets du vent d'autan sur ses patients de l'hôpital de la Grave. Il souriait de ma hantise de l'autan – c'est pour cela, me confirma-t-il, qu'un Parisien, vivrait-il sa vie entière ici, ne sera jamais l'un des nôtres. Qu'ils restent donc, avec leur vent !
[J'ai sous les yeux, à l'instant, pour mieux conspuer l'autan par ces quelques lignes, l'attachant petit livre de Christian Delfau [2] que j'ai eu plaisir à éditer il y a vingt ans. Il fourmille de dictons, d'anecdotes, de références vétérinaires qui font état, le plus scientifiquement du monde, des effets délétères de ce foehn occitan. Même le chapitre platement météorologique est effrayant.]
Le plus exaspérant pour celui qui, comme moi [3], n'a aucune bonne raison d'intégrer cette calamité dans sa panoplie de chauvinisme local, c'est que ce vent ne sert à rien. Il est l'arbitraire même. Une humiliation. Hérodote raconte comment Xerxès, roi de Perse, en 480 avant J.-C., fit fouetter les eaux de l'Hellespont pour punir la mer d'une tempête qui avait ruiné le dispositif construit par ses troupes pour franchir le détroit. Xerxès indigné ordonna d'infliger à l'Hellespont trois cents coups de fouet et de jeter dans ses eaux une paire d'entraves. J'ai entendu dire aussi qu'il avait envoyé d'autres gens pour marquer l'Hellespont au fer rouge. En tout cas, il enjoignit à ses gens de dire, en frappant de verges l'Hellespont, ces mots pleins de l'orgueil insensé d'un Barbare : Onde amère, notre maître te châtie parce que tu l'as offensé quand il ne t'a jamais fait de tort. Le roi Xerxès te franchira, que tu le veuilles ou non ; et c'est justice que personne ne t'offre de sacrifices, car tu n'es qu'un courant d'eau trouble et saumâtre. Ainsi fit-il châtier la mer. Hérodote a tort de hurler avec les loups et de voir dans cette juste colère un symptôme de barbarie (d'autres en ont tiré argument du dérangement d'esprit du Roi des Rois).
Xerxès eût-il dû ce matin franchir la Garonne, il aurait fait fouetter le vent. Et je lui aurais prêté main forte.
[Comme la pâte des cachous Lajaunie – invention d'un pharmacien toulousain –, qu'il était impossible de faire lever les jours de vent d'autan, cette chronique a refusé de lever. Écrite contre vent et torpeur débilitante due au vent, elle m'échappe, une salve de vent fou est venue la cliquer, en enregistrer le brouillon avant même que je lui programme ce statut, de sorte qu'elle a figuré sur le blog, ce dimanche, inachevée, échevelée, les jupes relevées, pendant une petite heure avant que je m'aperçoive de ce mauvais coup du vent.]
vent d'autan toulouse
[1] Vers le 15 décembre, je suis parvenu à faire enlever l'étiquette Galettes des rois [sans r majuscule, évidemment] que ma boulangère avait disposée devant des gâteaux individuels feuilletés à la frangipane qu'elle commercialisait depuis le matin. Maltraité par la vendeuse à qui je faisais part de mon indignation, j'ai demandé à voir la patronne, à qui j'ai expliqué qu'il était désormais inutile d'enseigner l'Histoire sainte à un enfant qui, dès la mi-décembre, pourra tirer sa mère par la manche pour qu'elle lui achète une galette des Rois. Insulte d'un client qui attendait son tour, soutien émouvant d'une vieille dame intrépide. Toujours est-il que, le lendemain, il n'était plus mentionné que la frangipane. Petite croisade dérisoire (sans excuse, l'autan ne soufflant même pas ce jour-là), je l'accorde afin qu'on s'épargne la peine de me le faire observer dans les commentaires.
[2] Christian Delfau, L'Autan, vent fou, Privat, 1986. La photographie de couverture est de Jean Dieuzaide. Je n'ai pas retiré, pour scanner le livre, le papier cristal qui recouvre mon exemplaire : il a magnifiquement vieilli, je crains de ne pouvoir le replacer, ou de le déchirer en cherchant à le dissocier de la couverture. Il donne au cliché un côté laiteux et flou qui protège de l'étrange crudité de l'air, les jours où souffle l'autan.
[3] Né à Bourg-la-Reine – je le revendique, à cause de Péguy.
Marilyn Monroe, D.R.
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