Je vous remercie de m'avoir posé cette question (le Général à Michel Droit).
Que sont donc les cantates de Gato Barbieri ?
Rien de moins, rien de plus que les deux premiers chapters, dont voici les pochettes originales.
Dans l'ensemble, El Gato a opéré sur trois registres : un assez pénible copier-coller latino de Ray Conniff (et Dieu sait pourtant…) [1] ; de brèves incursions dans un free-jazz inaudible par moi ; et quelques sessions véritablement inspirées, dont Chapter One et Chapter Two, enregistrés en 1973 [2], un an après que le Gato composa la musique du Dernier Tango à Paris.
Il existe un Chapter Three, dont je viens par probité de vérifier qu'il s'agit bien d'une vague musique de patio sans commune mesure avec les deux précédents titres. Et même un Chapter Four, dont je découvre à l'instant l'existence, réédité en CD cet automne, qui consisterait en un live new-yorkais de 1975 ; why not ?
Venons-en au fait. Les deux premiers chapitres sont tout bonnement à classer dans le genre cantate pour la raison que G.B. compte parmi ces musiciens qui parviennent à hausser leur instrument sur le registre de la voix.
Cela advient par accès, par flux extatique. C'est la anche qui, d'abord, se fond avec les lèvres – la transmutation n'est remarquée que de l'instrumentiste seul –, puis tout y passe : le bocal, le corps, la culasse et le pavillon. Les cordes vocales se coulent dans le laiton.
Toutefois, nous sommes assez loin de la performance de la basse de viole, dont Pascal Quignard, dans des pages nécessairement admirables, a longuement exposé l'aptitude à restituer la voix humaine. Ici, c'est le cri de la truie qu'on égorge que parvient à proférer El Gato, et force est de reconnaître que l'effet peut bouleverser. Chapter One et Two constituent donc deux cantates porcines auxquelles je recours lorsqu'une fin de journée a couleur, odeur et goût d'abattoir. Ces deux disques sont ma dernière musique, celle que j'écoute quand aucune autre n'est plus susceptible de me réparer.
[J'avais commencé à préparer cette chronique pour répondre à l'interrogation – teintée de perplexité – de Philippe[s], et je reçois aujourd'hui la réédition de ces deux albums, qui date déjà de 1997. J'avais péniblement mis la main sur le seul Chapter One en CD, reprise du vinyle d'origine restitué sans couleur, sans étoffe, privé surtout de toutes basses, qui faisait amèrement regretter ma vieille platine Thorens disparue dans un déménagement. Cette fois, c'est chirurgical : rien ne vous est épargné de l'extravagante quincaillerie des percussions latinos, et mon caisson de basses m'a demandé si j'avais pété un plomb, ou quoi ? Réponse : tout ce beau monde, en studio, devait fonctionner au peyotl, impossible autrement. Y compris – vingt ans après, encore sous l'effet de la grâce efficiente – les gens d'Impulse, en 1997, qui en ont perdu le sens commun, puisqu'ils ont tout simplement pressé l'étiquette du CD1 sur le CD2 et vice versa – j'ai mis quelque temps à comprendre ce qui avait bien pu se passer, ni le nombre des plages, ni leur durée, ni les inédits (connaissant l'opus par cœur, jusqu'en ses moindres convulsions) ne correspondant aux indications du livret.]
Une fois que le Gato a fait son œuvre, je souhaite bonne nuit aux équarrisseurs et je vais respirer ma bolée de dioxyde de carbone dans la Private City de John Surman.
[1] Heureuse circonstance : ici, les points-virgules en salve s'imposent.
[2] Ces deux albums sont réédités en double CD sous le titre Latino America – Impulse Master Sessions [troisième vignette, ci-dessus], Impulse (Universal), ASIN : B000024VFO. Disponible à un prix abordable sur le site d'Amazon Allemagne, cette réédition bénéficie d'un remixage digital impeccable et comprend des prises inédites de ces sessions.
Gato Barbieri, d'après cliché Philip Melnick, Chapter One, Impulse Records, 1973.
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Dominique Autié
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